Les 5 cols de l'Annapurna, c'est fait...

  • Le 11/05/2012
  • Dans Voyages
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Le trek d’exception des « 5 cols de l’Annapurna » a pris fin ce mardi 9 mai vers midi à Jomosom après quelques 30 jours de marche pour la majorité d’entre elles au-dessus de 4500m. Une seule déception partagée par le groupe des 5 trekkers-alpinistes (Françoise, Nicolas, Martial, Jacques et moi) que nous étions a été de devoir renoncer au franchissement du Namun La au pied du Lamjung himal en tout début de parcours pour cause de conditions météo incroyablement mauvaises. De dépit (et après avoir pris quelques « rincées » mémorables sur la crête de la Karpu danda), nous avions dû alors descendre à regret vers Khudi au point de départ du Tour des Annapurnas et abandonner notre idée de traverser les solitudes glacées de ce col très peu parcouru (l’automne est semble-t-il la meilleure période). Pour la petite histoire, c’est en nous repliant vers Bhujung que nous avons été cueillis à froid par une incroyable averse de grêle dispensant des morceaux de glace de 1, 2 voire 3 cm de diamètre cognant sur la tête et sans aucune possibilité de se protéger… Et le régime « cailloux sur la tête » a duré plus de deux heures dispersant porteurs, staff de cuisine et touristes au gré de la pente à la recherche d’une hypothétique protection contre le déchaînement des cieux. Je passe sous silence le franchissement ultérieur des torrents charriant plaques de boue, rondins de bois au-delà du lit habituel des rivières : quelques traversées épiques s’il en fut jusqu’à l’entrée du village sous un déluge que Noé ne renierait pas sous les éclairs incessants en équilibre sur des bambous joints utilisés comme « ponts » au-dessus des flots déchaînés…

Pierre, Nicolas,Françoise, Martial et Jacques au début du trek à Sabi

Bon ! Ca c’est la mise en situation. Retour au calme le lendemain : après ce ne fut que du bonheur ! Mise à part la remontée pendant 3 jours du cloaque « merdeux » le long de la Marsyangdi khola, disons jusqu’à Bagarchap (la pluie n’arrangeait vraiment rien…), plus nous avancions meilleures les conditions météo devenaient : les murailles glacées des Annapurnas commençaient à nous protéger, nous étions arrivés au pays des hautes montagnes protectrices. A Upper Pisang, nous quittions le Tour des Annapurnas pour cette virée en wilderness que nous espérions tous.

Le passage du Kang La

Le passage du Kang La : à 5300m, ce belvédère incroyable sur la chaîne des Annapurnas fut une quasi formalité tant nous souhaitions enfin « rentrer dans le bois dur » depuis notre repli stratégique à l’approche du Namun La. La journée de repos à Naar a permis de se mettre en ordre de marche pour les 10 jours d’isolement total que nous allions aborder. Bien nous en a pris car la traversée Naar – Muktinath a été comme nous l’attendions : sauvage au possible ! C’est simple, il n’y a rien… On ne doit compter que sur soi. Après deux jours de remontée en up / down de la vallée de la Labse khola (que les cartes népalaises sont donc imprécises…), nous voici au camp de base au pied du sommet auquel nous avions envisagé de nous mesurer, le Thansunjiti et ses 6084m.

Les 2 alpinistes du groupe

Tentative sur le Thansunjiti : Nicolas et Martial partent avec une équipe réduite (guide, assistant et deux porteurs) poser le camp d’altitude vers 5600m mais la nuit les surprend vers 5300m où ils s’arrêtent auprès d’un petit lac. Le lendemain, la tentative d’ascension (considérée comme aisée par Paulo Grobel à son retour d’expédition en 2003) n’ira pas plus loin que 5750m, bloquée par une méchante arête de glace effilée surplombant une non moins méchante crevasse abyssale… Il faut se résigner : en 10 ans, les conditions de cette montagne ont sacrément évolué ! Dommage… Retour de l’équipée et « un peu » de déception au fond de l’âme.

Le passage du Teri La

Poursuite de la route vers le nord : incroyablement facile d’accès par son versant sud, le Teri La (ou Mustang La lorsque Tillman l’a franchi dans les années 1950,je ne résiste pas au plaisir de vous montrer la carte originale qu’il utilisait à l’époque, Oh pas plus fausse que celles d’aujourd’hui…) franchit la « frontière » naturelle entre Annapurna et Mustang au pied de la chaîne du Purbung, un plus de 6000 totalement inconnu à l’exception de quelques initiés dont je fais maintenant partie… La voie de descente vient d’être rebalisée en RD du vallon, la suite du chemin jusqu’à Kog est propre et bien viabilisé. Mais qui donc travaille à ces hauteurs pour entretenir ces voies de communication sur lesquelles transitent très peu de trekkers ? Mystère… En tout cas, merci aux inconnus !

La carte de l'explorateur Tillman en 1950

Kog : Etienne Principaud et Paulo Grobel m’en avaient touché un mot : « Il faut que tu y passes, que tu me ramènes des photos (pour l’un) et que tu me défriches l’itinéraire direct vers Muktinath (pour l’autre) ». Quel programme ! Sur le terrain c’est un tout petit peu plus difficile que sur Google Earth mais le coup d’essai a été un coup de maître… Quand on constate l’étendue du village maintenant totalement abandonné avec un périmètre de cultures aussi étendu que celui de Lo Monthang, on imagine des dizaines de scénarios pour comprendre la déshérence de cette vallée. Pourtant il y a de l’eau, les champs sont dessinés sur des moraines fluviales riches en terreau, mais il n’y a plus âme qui vive… Que s’est-il donc passé ? Cela date-t-il de la rébellion des khampas, ces guerriers du Tibet repliés derrière les frontières du Népal et en conflit avec les envahisseurs chinois ? Il va falloir creuser… (Etienne, au secours…!).

Réponse d’Etienne (3 heures chrono !) :
Quelques mots sur l’histoire de Kog tirés du livre de Charles Ramble : "Navel of the demoness" : Le territoire de Kog couvre environ 500000m2 avec des terrasses cultivées orientées sud, est et ouest couvrant tout l’arc de la course du soleil. Territoire qui plus est abrité des vents par les crêtes qui l’entourent. D’après les datations (carbone 14 sur les poutres des maisons), la naissance du village semble remonter au 10–11ème siècle et les dernières datations sont du 17ème siècle et encore ne concernent-elles que les restes du temple qui a pu être entretenu plus longtemps même après la fin du village (voir par exemple ce qui se passe à Nogaru actuellement). Donc une exploitation qui n’a duré que 5 à 6 siècles. Selon des archives conservées à Tetang, la disparition du village serait due à la destruction par un glissement de terrain du canal d’irrigation principal au niveau d’un tunnel creusé dans la falaise. Le canal parcourait environ 1 km dans la falaise et émergeait sur le plateau cultivé juste à l’est du village dans un réservoir situé à proximité des maisons. Il est encore possible en se tenant au bord de la falaise de voir l’extrémité du tunnel interrompu par le glissement de terrain. Deux troncs de genévrier témoignent d’une tentative de reconstruire la zone détruite. Les habitants de Kog ont ensuite migré tout d’abord vers Aga puis vers Tetang. Ils sont à l’origine de trois des premiers clans de Tetang. Ils semblent d’abord s’être installés dans des grottes situées à mi hauteur dans la falaise dominant Tetang (home of the ancestors). Ces grottes actuellement inaccessibles auraient servi jusqu’au 18ème siècle. Donc pas de camp de la rébellion khampa dans la région de Kog.

Le canal d'irrigation de Kog maintenant détruit (source Charles Ramble)

La confirmation sur le terrain de la présence d’un sentier direct vers Muktinath : Depuis le bivouac au confluent de la Yak khola et de la Damena khola (tiens au fait, au passage on a dû en faire la première descente touristique en canyoning…), on a définitivement laissé tomber le sentier « habituel » de la traversée du Teri La qui file vers Tangye pour nous orienter « hors des sentiers battus » (comme il se doit…) plein E pour rejoindre Muktinath par les plateaux. Les repérages sur Google Earth nous indiquaient des traces de chemins empruntées par les bergers et leurs troupeaux mais il nous fallait confirmer leur viabilité sur le terrain. Chose faite : en deux jours de traversée de canyons et de plateaux sans fin (toujours le up / down népalais), nous voici arrivant au-dessus Gyu La à quelques encablures de la riante vallée de Muktinath. Ouverture d’un itinéraire nouveau pour ne pas payer le permis Mustang de USD500/pers lors de la traversée du Teri La ? C’est un fait ! Et c’est validé par les autorités népalaises puisque l’on atteste ne pas traverser de village dans la région de l’Upper Mustang… Eh, eh !

Repos à Muktinath : Ouf, ça fait du bien (le repos)… Nicolas nous quitte pour retourner fissa en France retrouver ses bureaux et le wilderness parisien du côté des Champs Elysées. Nous restons quatre « touristes » avec une équipe réduite à 5 porteurs, 2 assistants guides et un sirdar pour continuer l’aventure : beaucoup de lodges à venir et surtout plus que 2 camps dans la nature, donc on se passe de l’assistance cuisine, le juste nécessaire en équipement de haute-montagne et nous voilà partis sur les pentes austères du Thorong La en sens inverse…

Le passage du Thorong La

La dernière partie : On ne l’attendait pas aussi alpine qu’elle le fut. Pas le Thorong La qui n’est qu’une longue pente peu relevée (on est quand même à 5400m…!) sur laquelle on « joue » indéfiniment  à saute-moraine et sur laquelle la couche de neige fraîche n’aidait pas à la progression douce. Mais je veux parler du franchissement du Mesokanto La : une approche infernale depuis les bords du lac Tilicho sur des traces à flanc dans du petit éboulis schisteux sur lesquelles il est mal commode de progresser, puis une descente directe avec cailloutis, neige fraîche et boue mêlés sur lit de glace dans un couloir pentu bien peu sympathique… Heureusement qu’on avait pu contempler l’exceptionnel paysage qui est proposé autour de cette combe lacustre avec la présence de sommets aussi prestigieux que l’Annapurna II, le Gangapurna, le Khangsar peak, le Tilicho peak et la chaîne des Nilgiris. On avait même eu brièvement la surprise de contempler de manière inattendue la cime de l’Annapurna I… Bref, après cette descente dantesque dans un épais brouillard et au milieu des coulées de roches et de plaques de neige (heureusement à bonne distance, mais comment le savoir lorsque l’on est dans le brouillard ?), on terminera par une longue descente en direction de Jomosom et de son altiport, terme du voyage et synonyme de retour à la civilisation pour certains, de repos de 4 jours au bord du Phewa lake pour moi en attendant Marie dès dimanche. Car nous allons rendre une visite de courtoisie à Jigme Palbar Bista, raja du Mustang, invités lors de notre passage à Lo Monthang à l’automne dernier par les Lopas à assister en leur compagnie à la fête bouddhiste de Tiji haute en couleurs. Enfin du repos en marchant sur les « gentils » sentiers du Mustang…

Le (nouveau) Mesokanto La

Bien entendu un satisfecit pour l'ensemble du groupe (Françoise, Nicolas, Martial et Jacques) qui a réussi à rester uni jusqu'au dernier jour, performance de qualité puisque le périple a duré quelques 31 jours, que nous avons marché plus de 130 heures effectives pour une dénivelée de +20000m / -18000m parfois dans des conditions météo difficiles, pas trop le froid mais les avalasses du début de séjour... Et puis comme rien ne serait possible sans le travail quotidien du staff népalais qui nous accompagnait, nous tenons à remercier chaudement notre sirdar Nirajan Ghishing Tamang pour son abnégation de tous les instants, le guide de haute-montagne népalais Shandra Raï, le guide assistant Bhim et l'ensemble des porteurs qui nous ont accompagnés sur ces chemins « hors des sentiers battus » de l’Himalaya népalais, pas si faciles que cela, nous pouvons en attester... Et pour finir, un immense merci à l'ordonnateur et facilitateur de cette épopée, je nomme l'inénarrable Chhetup Tamang de l'agence A.R.T pour son indefectible support aux projets qui me passent par la tête et dont il facilite du mieux possible leur réalisation sur le terrain. La prochaine épopée ? A l’été 2013 pour une exploration en profondeur du Dolpo !

A Jomosom, on ne manque pas d'air...

Et comme la connexion internet à Pokhara m'a permis de travailler à distance, je peux vous annoncer que le topo des 5 cols de l'Annapurna est disponible. Bonne lecture ! Seule réserve par rapport à ce que je fournis d'habitude, n'ayant pas à disposition sur le petit PC que j'emmène sur le terrain le logiciel Photoshop, il ne m'a pas été possible de mettre en ligne les cartes en PDF. Promis pour début juin à mon retour à Paris...

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Commentaires

  • Paulo Grobel
    • 1. Paulo Grobel Le 14/05/2012
    Superbe voyage... Felicitations a tous. Et Bon Teji pour la suite de l'aventure
    De mon cote, j'espere bien aller a Kog cet ete... Merci pour tout.
    Paulo_depuis Bejing